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Mon
psy passe à la télé !...
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Positionnement
face aux contraintes médiatiques
«
Nous
allons créer une noosphère, c'est-à-dire
une sphère de produits de nos esprits.
Et cette sphère va entourer l'humanité
[...]. Nous ne réalisons pas que les
idées — qui sont désormais
nos intermédiaires nécessaires
pour communiquer avec la réalité
— vont aussi masquer la réalité
et nous faire prendre l'idée pour le
réel. Ce rapport barbare avec les idées
est l'une des plus atroces choses qui soient
arrivées à l'humanité.
Pourquoi ? Parce que, de même que les
communautés humaines ont suscité
des dieux souvent terribles, exigeant des sacrifices
humains innombrables, on donne aujourd'hui une
existence, une transcendance à nos idées.
[...]
Si on ne nourrissait pas cette sphère
avec nos activités cérébro-mentales
et culturelles, elle s'effondrerait... [...]
Les yeux obéissent souvent à
nos esprits, plus que nos esprits à nos
yeux. »
EDGAR
MORIN avec Boris Cyrulnik dans « Dialogue
sur la Nature Humaine », 2004 |
Comment les objectifs et le temps du psy peuvent-ils
trouver leur place dans ceux de l'univers médiatique :
presse, radio, télévision ?
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De plus longs développements seraient
nécessaires pour répondre
à ces questions. Mais, voici quelques
repères et réflexions, afin
de ne pas conclure précipitamment :
.::. Contraintes
et coopération :
Mettons d'abord les choses au point : ce
n'est pas parce qu'un psy est sollicité
par les médias que c'est un meilleur
psy que d'autres ! Passer dans les
médias augmente la notoriété,
mais pas les compétences. Celles-ci
dépendent toujours de formations
théoriques, techniques et personnelles
accomplies, ainsi que d'une pratique de
la relation d'aide, empathique et motivée.
Dans un premier temps, des journalistes
ont contacté « notre psy »
pour illustrer une rubrique au titre de
« spécialiste »
ou pour intervenir dans une émission
suite à la publication d'un livre.
Peut-être l'ont-il aussi trouvé
par Internet ou encore lu, entendu, vu dans
d'autres médias.
Ces journalistes retiendont (suite à
quelques questions-tests) une personnalité
dont l'expression pourra entrer dans le
format médiatique : présence,
clarté, capacité de faire
passer l'essentiel en quelques phrases courtes,
dans un vocabulaire accessible au plus grand
nombre...
En conséquence, les interventions
de notre psy se limiteront souvent à
des conseils généraux et simplificateurs.
Et c'est à
lui, le psy, tout autant qu'au journaliste
(en accord avec leur Code de Déontologie
respectif), d'adopter
des précautions de langage qui indiqueront
les limites de ces interventions et déjoueront
la banalisation, éminemment toxique,
de certaines erreurs de raisonnement*
(erreurs, concourant à une véritable
pandémie par l'information, antinomiques
avec une liberté d'information et
de penser — voir,
plus haut, le texte d'Edgar Morin).
Faudra-t-il encore que ces précautions
ne soient pas coupées au montage,
par ignorance ou, simplement, faute de temps !
* Par exemple :
jugements de valeur sur les personnes (donc
réducteurs et dévalorisants)
plutôt que descriptions de conduites
avec leurs conséquences ; surgénéralisations
plutôt que spécification de
l'information, etc. Voir
développement en Annexe.
Notre psy se retrouve donc en situation
d'offrir un conseil avisé, voire
d'intervenir au titre de « coach »
auprès d'acteurs ou de particuliers
ayant accepté le jeu.
À la télévision, on
n'intervient pas comme en Cabinet. La
télévision n'est pas le lieu
d'une consultation et encore moins d'un
diagnostic ou d'une psychothérapie.
Cependant, notre psy
peut trouver sa place, dans des limites
claires, en coopération avec ses
journalistes :
Il peut émettre un avis général,
des conseils pratiques
relevant, à la rigueur, d'un coaching
directif respectant l'autonomie de la personne.
Dans le cadre d'un jeu de rôle
télévisé, le coach
propose une solution standard afin d'améliorer
un comportement (et non de soigner une psychopathologie
!). Ici, ce coaching se définit comme
un accompagnement
mesuré, dans une situation-problème,
pour illustrer une conduite alternative
à celles habituellement pratiquées
par les personnes ayant
accepté de se prêter
à la démonstration et préparées
aux conséquences de leur médiatisation.
Cet « accompagnement
mesuré », directif
par définition, précédé
d'une préparation à la situation
qui sera enregistrée, consiste
en une régulation ou guidance
consentie, justifiée avec
concision (pour aiguiller le spectateur)
et complétée de conseils généraux.
Rien à voir, donc, avec les dérapages
que l'on nous a offerts en spectacle
où le « spécialiste » (!)
imposait un comportement à un participant
par des injonctions répétées,
sous la pression des caméras. Cet
acte de soumission, violence légitimée
par une obligation de résultat, ne
nous a appris qu'une chose : « pour
changer, il faut se soumettre » !!!
Ce qui est inacceptable et anti-déontologique.
Voici
un exemple de ce qu'une « boîte
de prod » peut proposer
à notre psy
lors d'un rendez-vous dans le cadre
d'un projet d'émission (ici, prévu
pour une grande chaîne française)...
Rien moins que de concevoir un questionnaire
ayant pour objectif de destabiliser
les candidats (participants à l'émission
en projet), afin de produire des
émotions télévisuelles !!!
Faut-il vous préciser que j'ai rappelé
ma position éthique et que je ne
pouvais donc répondre à leur requête
en l'état, tout en leur proposant
une alternative. Ce qui a eu pour
conséquence, comme c'était prévisible
de leur part, une fin de non recevoir...
et c'est tant mieux !
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Notre « psy » peut
ainsi se retrouver instrumentalisé
ou simple « faire-valoir »
dans des émissions où il sera cantonné
à de courtes reformulations de ce
qu'auront dit les invités ou à des
avis simplistes, stéréotypés, à l'emporte-pièce.
Ce statut implicite de « faire-valoir »
cautionne une situation télévisuelle où
le psy ne peut trouver sa place. Place qui
consisterait à éclairer tel ou tel
point au bénéfice des invités comme des
téléspectateurs. Les interventions du psy
laisse alors l'impression d'« enfoncer
des portes ouvertes », de vide,
quand ce n'est pas de jugements hâtifs et
rigides... préjudiciable
à l'image des psys avec, pour conséquence,
le maintien des réticences voire des peurs
de consulter...
Qu'il s'agisse d'illustrer l'application
d'une solution alternative ou, même,
de faire la démonstration de ce en
quoi peut consister une relation d'aide,
le coach, avec le soutien des journalistes,
se doit de mettre en oeuvre et de montrer
les conditions du respect. Respect qui,
en tout premier lieu, consiste à
ne pas nuire, puis à promouvoir l'autonomie
de la personne, par des interventions non
intrusives ou vulnérabilisantes,
dans l'esprit des Droits de l'Homme.
« ...A
une journaliste de presse qui me
rétorquait "finalement,
tout ce que vous venez de me dire
c'est qu'il faut être clair !",
j'ai répondu clairement :
"En vous expliquant que la
communication consistait d'abord
à s'ajuster régulièrement,
par le dialogue, sur le sens des
actes et des mots, je ne vous ai
pas seulement indiqué qu'il
fallait être clair... mais
comment l'être."
Même pour des professionnels,
aguerris au recueil puis à
la restitution d'information, et
malgré leur honnêteté
souvent induscutable, il est parfois
difficile de ne pas réduire,
mélanger ou déformer
le message reçu à
partir de leurs propres acquis et
présupposés... »
Extrait
du livre :
de
Bourguet (F.), Guilloux (V.) —
« La
Colocation : Mode d'emploi pratique
et juridique ».
Paris, Vuibert Guid'Utile, 2006.
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Ainsi, pour notre psy comme pour notre journaliste,
il s'agit d'un choix déontologique,
parfois délicat, qui réclame
d'interroger les habitudes de penser et
d'agir, comme les motivations des protagonistes
— réalisateurs, producteurs,
journalistes, participants —,
qui ne sont pas forcément celles
d'un psy. Cette situation
est l'occasion, pour chaque partie, d'un
apport mutuel, autant humain que professionnel.
.::. Les
Déontologies :
Être aux côtés des journalistes
qui le demandent est donc l'occasion pour
le psychologue d'un conseil et, comme l'indique
sa déontologie, d'une « contribution
au sérieux des informations communiquées
au public ».
Dans tous les cas, notre psy est là
pour rappeler et poser les règles
élémentaires du respect mutuel
et, lorsque c'est possible, des conditions
nécessaires pour la mise en oeuvre
de celui-ci.
Voici
une mésaventure qui m'est
arrivée récemment
:
C'est heureusement très rare, mais
des situations exigent parfois d'affirmer
notre droit à l'indignation, et
donc le rappel à la déontologie
des deux parties et même au
Droit tout court (voir ci-dessous),
lorsque par exemple un journaliste
de presse vient vous interviewer
puis retranscrit vos réponses dans
son article sans citer votre nom.
Cette mésaventure m'est arrivée
récemment : dans un magazine à très
fort tirage, un autre auteur est
cité à proximité de mes réponses,
sans que je le sois moi-même. Dois-je
prendre contact avec le journaliste
pour le gronder et m'entendre dire
ce que, au final, je reporte ci-dessous
? Je choisis de renseigner directement
la rédaction. L'unique réponse de
celle-ci — pourtant seule
responsable de la publication —,
est un coup de téléphone du journaliste
venu m'interviewé qui me
fait la leçon pour l'avoir « dénoncé »
tout en évoquant une simple similitude
et non une retranscription de mes
réponses !
Et vous voilà, après avoir accordé
gracieusement votre temps, face
à la mauvaise foi contre l'évidence
et la spécificité indiscutable de
vos réponses...
Qu'est-ce qui aurait pu me mettre
« la puce à l'oreille »...
Pas grand chose : le magazine
est de renom, le journaliste se
présente très « pro »
(un peu trop peut-être). Est-ce
son insistance sur le titre de l'ouvrage,
cité dans l'article, qui semblait
mieux le séduire que le vôtre ?
Est-ce le contact inhabituellement
rude de sa part (impression de ne
pas lui plaire) ? Est-ce son
refus, à la fin de l'interview,
de mon droit de lecture et devoir
déontologique de rectification
avant publication, prétextant qu'il
ne s'agissait pas d'un article d'interview
(questions-réponses), mais de simples
reprises de mes réponses ?...
Nous ne sommes pas à l'abri de ce
genre d'inconvénient que notre déontologie
nous invite, cependant, à renseigner. |
[en cours
d'écriture]
Le
Code de Déontologie des Psychologues
indique que le psy à pour
premier devoir « le respect
de la personne humaine dans sa dimension
psychique. D'autre part, « il
n’intervient qu'avec le consentement
libre et éclairé des personnes concernées. »
« Le psychologue ne peut
aliéner l’indépendance nécessaire
à l'exercice de sa profession sous
quelque forme que ce soit. »
Et « ...il est en droit
de faire jouer la clause de conscience. »
Concernant plus précisément
ses interventions publiques, le
Chapitre
5 de son Code de Déontologie
indique :
article 25 : Le psychologue
a une
responsabilité dans la diffusion
de la psychologie auprès du public
et des médias. Il fait de
la psychologie et de ses applications
une présentation en accord avec
les règles déontologiques de la
profession. Il
use de son droit de rectification
pour contribuer au sérieux des informations
communiquées au public.
article 26 : Le psychologue
n'entre pas dans le détail des méthodes
et techniques psychologiques qu'il
présente au public, et il l’informe
des dangers potentiels d'une utilisation
incontrôlée de ces techniques.
Les
Droits et Devoirs des Journalistes,
en termes de déontologie,
indiquent que : « La
responsabilité des journalistes
vis-à-vis du public prime
toute autre responsabilité,
en particulier à l'égard
de leurs employeurs et des pouvoirs
publics. » « Publier
seulement les informations dont
l'origine est connue ou les accompagner,
si c'est nécessaire, des
réserves qui s'imposent ;
ne pas supprimer les informations
essentielles et ne pas altérer
les textes et les documents ; »
« Le journaliste ne peut
être contraint à accomplir
un acte professionnel ou à
exprimer une opinion qui serait
contraire à sa conviction
ou sa conscience. »
Psychologues
et journalistes sont,
l'un comme l'autre, soumis dans
leurs écrits au Code
de la Propriété Intellectuelle
qui stipule, entre autre, que ne
pas faire mention du nom de l'auteur,
dont les propos sont retranscrits,
constitue une atteinte à
son droit de paternité en
tant qu'auteur.
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Nul
n'est tenu de révéler quoi que ce soit sur
lui-même.
Cependant, comme l'indique Serge Tisseron
(psychologue), à propos de ces personnes
qui choisissent de montrer leurs difficultés,
et un peu de leur intimité, à
des millions de télespectateurs,
« les confidences publiques ne
relèvent pas de l’exhibition,
mais de la volonté des individus
de faire valider une partie d’eux-mêmes
par autrui, avec le sentiment que cela leur
permettra de mieux vivre leur intimité. »
Mais, après un retour immédiat
gratifiant, quel suivi pour gérer,
en particulier, l'impact de ce qui a été
dit, montré, voire révélé,
sur la relation avec l'entourage ?
Comment trouver sa place dans des limites
si étroites posées par le
cadre médiatique ?
[en
cours d'écriture]
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Conclusion
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La
médiatisation est un amplificateur
de ce qui est diffusé, de bon comme
de mauvais. Dans ce cadre, la plus grande
difficulté pour notre psy, comme pour
notre journaliste, sera de trouver ou de conserver
son autonomie et la capacité à
maintenir le cap d'une action tout aussi éthique
que pragmatique.
[en
cours d'écriture]
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Annexe
1 : Vous avez dit « Psy » ?
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Je me dois de rectifier quelques a priori sur la psychologie
(celle à laquelle je me réfère) :
Cette psychologie n'est pas une activité ésotérique,
abstraite et encore moins idéologique ou normative voire invasive
ou manipulatrice. Elle aborde les dysfonctionnements subis par un
grand nombre de personnes au long de la vie. Ainsi, prévient-elle
l'apparition voire l'installation de plus grandes déroutes
et souffrances, limitant le passage à certaines psychopathologies
(qu'elle traite parfois).
L'approche dite « cognitive », en coaching et en psychothérapie,
est essentiellement pragmatique, tout en restant éthique et
coopérative. Celle-ci a pour objectif de libérer notre
sensibilité, notre empathie, notre discernement et notre inventivité.
À cette fin, elle reste concrète car elle aborde ce
qui fonde nos idées, nos actes, nos relations c'est-à-dire
nos représentations et nos émotions. Elle se guide à
partir de faits énoncés observables, en particulier
les conséquences de solutions mises en place face aux difficultés.
Elle ne se base pas sur des croyances ou de simples spéculations
pour élaborer ses solutions. Tout au contraire, elle émet
des hypothèses (à partir des données du problème
et des solutions envisagées puis appliquées), pour les
mettre à l'épreuve des faits dans notre quotidien et
en tirer des enseignements.
Tout cela contribue à trouver et maintenir
un certain bien-être, conciliant différences,
complémentarités et autonomie.
Ainsi, la « profondeur » d'une telle
approche ne se juge pas à son degré
d'abstraction, mais bien aux résultats
obtenus, en situation, autant en qualité
qu'en stabilité à long terme.
Annexe
2 : quelques « erreurs de raisonnement »
#
Voici
quelques exemples d'erreurs de raisonnement
fréquentes, qui surviennent souvent
lorsque nous ne critiquons pas assez nos
conclusions :
• Inférence
arbitraire : conclure malgré
une information insuffisante
« Si elle ne me parle pas, c'est
qu'elle m'en veut. »
• Généralisation :
conclusion globalisante à partir
d'éléments trop spécifiques
« Je n'ai jamais de chance, c'est
toujours comme ça. »
• Abstraction
sélective : privilégier
une interprétation confirmant nos
a priori
Pour une fois que son colocataire a oublié
de nettoyer une vitre, elle se dit :
« Je savais bien que les hommes
ne savent pas faire le ménage. »
• Personnalisation :
surévaluer le lien entre un événement
et soi-même
« Ça n'arrive qu'à
moi ! »
« Si je vais pas été
là, ce ne serait pas arrivé. »
• Raisonnement
dichotomique : critères
sans nuance, en tout ou rien
« Tu es avec nous ou contre nous
! »
• Maximalisation
du négatif et minimisation du positif
« Si mes parents apprennent ça,
ils vont me tuer ! » *
« J'ai réussi, mais c'est
la chance. »
* Attention : ce
qui est ici un excès de langage,
ne l'est malheureusement pas dans d'autres
cultures...
[en
cours d'écriture]
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